Chronique

Improbable comme
un orignal

En revenant d’Ottawa par la vieille Route 17, tu longes la rivière des Outaouais. Le décor, les restaurants, les clôtures... On dirait les années 70.

Tu passes dans le village de L’Orignal. Mais non, ce n’est pas un parc d’attractions pour cervidés. C’est le nom du hameau : L’Orignal. Pas «Cap-à-l’Orignal » ni « Pointe-à-l’Orignal ». Juste « L’Orignal ». Quel nom improbable.

Que veux-tu, Ronald, les explorateurs ne sont pas tous des poètes. Les gars débarquent de leur canot pour bivouaquer. Premier animal rencontré : un orignal. « Les chances de tomber là-dessus ! se disent-ils. Ça va s’appeler comme ça. » Les gens du coin ont été chanceux, remarque bien. « La Moufette », me semble que t’as pas le goût de visiter ça.

Plus déroutant encore, l’abattoir s’appelle L’Orignal Packing. Comme de raison, c’est une statue de bœuf qui trône devant le commerce. Donc, pour le match de ce soir, inutile de t’arrêter là pour des côtes levées d’orignal,
y en a pas.

Parlant d’abattoir...

Ronald, toi qui as fait le tour de la rondelle à plus d’un titre, est-ce que c’est normal de ne pas compter après 12 179 avantages numériques ? Cette incapacité de s’organiser pour fomenter du danger ?

***

Puisque tu me le demandes, le beau-père est en pleine forme. On a chanté Bonne fête et un de mes fils a même mis Gens du pays.

Après la fête, par contre... Oh, le ton a changé. Il s’en est pris à un de tes préférés, Ronald. « Emelin, pourquoi il met pas des bas bleus, tant qu’à faire des passes aux Rangers ! »

Comme ça qu’il l’a dit, Ronald. Des bas bleus.

Le beauf allemand commence à s’y mettre. Il ne le dit pas, mais je vois dans ses yeux que le côté brouillon et sauvage du hockey le laisse un peu perplexe. Je mise sur la génération suivante.

Bon. Pour te dire toute la vérité, si je me suis retrouvé à L’Orignal, c’est pas seulement que je revenais d’Ottawa pour le demi-marathon (correct). Vois-tu... J’avais d’autres sortes de courses à faire à Hawkesbury, connu pour la chanson de Jean Leloup, comme lieu de naissance de notre estimé ancien boss Marcel Desjardins et... pour sa commission des liqueurs quasiment québécoise. Mais non, pas pour moi. C’était pour une bière allemande qu’on ne trouve que là. Si tu veux garder un beau-frère jusqu’à la fin de la première, ça prend des arguments. Il n’est pas très nationaliste, sauf en matière de bière et de soccer.

***

Martin St-Louis... En voilà, un poète du gouret, Ronald. Il allait devenir cinglé à force de se faire voler des buts par Tokarski. Avec mon fils, on a regardé l’autre soir à RDS un très long documentaire sur l’improbable ascension de St-Louis et son ami d’enfance Éric Perrin. On sait qu’il a été rejeté à répétition parce qu’il était trop petit, mais je ne savais pas que ça remontait aux rangs pee-wee ! Veux, veux pas, cette histoire de persévérance force l’admiration.

Alors quoi ? C’est toujours possible ? C’est très improbable. Pas à cause des statistiques. Pas parce que, depuis la fondation de L’Orginal (1816), le CH n’a remonté que deux fois une série qu’il perdait 1-3.

Parce que le ton de la série, Ronald : le ton est donné par les Rangers presque tout le temps. Notre équipe est dominée.

En plus, je suis à l’extérieur, et je devrai écouter ça seul, pas de beau-père, pas de beauf, pas de famille, pas d’orignal.

Oui, oui, tout est possible.

Tu t’installes pour bivouaquer ce soir avec les tiens, paf ! tu tombes sur Vanek, Pacioretty, Subban qui sortent du bois... Qui se mettent
à ravoir du panache...

Peut-être.

Mais je la sens pas, cette hypothèse, Ronald.
Je la sens pas.

Chronique

Déplacements latéraux

Ils ont interrompu les nouvelles continues pour le point de presse de Michel Therrien, Yves, et discuter du match sans lendemain. J’ai compris que l’heure était grave.

Un match à la fois, nous a dit le coach. Si j’étais lui, je consulterais Xavier Dolan, l’homme de l’heure, le génie qui menace de se retirer dans ses terres, celui qui a réponse à tout. Il a sûrement des idées concernant le jeu de transition en zone centrale.

Marquer le premier but... momentum... confiance... a poursuivi Therrien, et j’étais pendu à ses lèvres.

Il y a un graffiti sur une église près de chez moi qui dit : It won’t be the witches that are burning this time... Tout près d’une statue de Jésus. J’en ai eu froid dans le dos. Décidément, ça va mal. Ça sent la fin de la série et peut-être du monde.

C’est toujours une question d’attitude, nous expliquait le professeur Therrien, et il faut la contribution de tout le monde... Je notais tout.

Je crois qu’Alain Vigneault a réussi à entrer dans sa tête, comme ils disent. Notre coach rit trop fort de ses farces plates. Un rire qui sonne faux. Il n’y a rien de plus révélateur qu’un faux cool.

J’ai un copain qui me texte avant chaque match : « J’ai un bon feeling ce soir. » Avant chaque match, le même texto... Je lui ai répondu hier qu’il y avait des thérapies pour ça.

Je n’ai pas un bon feeling du tout.

***

Dimanche après-midi, je suis passé à la Charcuterie Varsovie, rue Masson, où j’avais mes habitudes dans une autre vie. Question de porter chance à notre jeune gardien. On fait ce qu’on peut.

Dzien dobry (bonjour)... et la dame m’a reconnu tout de suite. Elle a dit qu’elle n’oubliait jamais ses « vieux » clients, et je l’ai tout de même pris comme une gentillesse. J’aurais préféré « mes clients sympathiques ».

Elle était au courant pour Tokarski « qui remplace bien Carey Price ». Elle prononçait Tokarski à la polonaise et ça sonnait comme un coup de fouet dans la plaine.

Alors quelques saucisses, de la choucroute en salade, un poisson rôti... Vous lui demandez du hareng fumé et elle vous donne un hareng entier, la tête et tout. Il semble avoir beaucoup souffert pendant l’opération.

Un gros cornichon aussi. Savais-tu, Yves, que les Polonais avaient inventé le cornichon à l’aneth et que les juifs polonais qui ont immigré à Montréal, boulevard Saint-Laurent, l’ont introduit dans nos mœurs ? Notre pickle, quoi.

J’ai dit dziekuje (merci) et j’avais épuisé tout mon vocabulaire polonais.

Mais ça n’a pas porté chance à Tokarski... Crois-tu qu’il aurait dû arrêter le tir de St-Louis en prolongation ?

Limite, à mon avis.

***

Qu’est-ce que j’entends ?

Carey Price a exercé ses déplacements latéraux ?

Bonne nouvelle. C’est important, les déplacements latéraux. Tu imagines nos existences si nous n’avions pas développé cette capacité de nous déplacer latéralement ? Tu imagines tous les affrontements ?

Je connais des gens qui ont fait des déplacements latéraux un mode de vie.

Allez, Yves, on attache nos patins et on donne tout ce soir.

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